La première révolution industrielle

Machines et Usines

Machine à vapeur

Pas de de révolution industrielle sans machine à vapeur qui, selon l'expression de Marx, permet de passer du stade de la manufacture à celui de la « machinomanufacture ». Cette machine à vapeur, issue des expériences de Denis Papin sur la condensation de l'eau en ébullition, donna lieu à une première mise au point de la part de Newcomen à la fin du XVIIème siècle, avant d'être perfectionnée par James Watt. Dès lors, elle suscita une grande curiosité de la part des constructeurs du continent qui cherchèrent à en pénétrer les secrets : un véritable « espionnage industriel » s'organisa, comparable à celui que suscitèrent les secrets atomiques au lendemain de la Seconde Guerre mondiale. Des missions secrètes, françaises, suisses, prussiennes, furent envoyées, sous des camouflages variés, en Angleterre. Parmi celles-ci, figure la mission du fonctionnaire prussien J.G. MAY, envoyé par son gouvernement en 1814 pour étudier l'économie anglaise, qu'il décrivit dans son Rapport sur un voyage en Angleterre...

Il y a un très grand nombre de machines à vapeur en Angleterre, et on en trouve dans tout le pays. Elles sont un témoignage des facultés d'invention de l'Angleterre, de sa grande richesse, et de son haut niveau de culture. La force de la vapeur est utilisée pour faire fonctionner toutes sortes de machines dans les mines et les usines, et, en fait, elle l'est souvent aussi pour des activités relativement mineures. A Londres, par exemple, certains pharmaciens se servent de machines à vapeur, et un boucher en a une pour fabriquer des saucisses. C'est également la force de la vapeur qu'on utilise actuellement pour actionner les tournebroches...
Le fonctionnement de la machine à vapeur est commandé par un régulateur qui permet d'obtenir des mouvements toujours uniformes. S'il y a un excès de vapeur qui risque de faire aller la machine plus vite, le régulateur ferme automatiquement le clapet dans le tuyau de transmission. Ainsi, le volume de vapeur entrant dans le cylindre est réglé de manière à assurer un mouvement uniforme. Si la pression est insuffisante, le clapet s'ouvre pour per-mettre l'arrivée d'une quantité supplémentaire de vapeur. Récemment, le régulateur a été également relié à un clapet placé dans la cheminée de la chaudière ,de façon à réduire le tirage du foyer, au cas où il y aurait trop de vapeur. Et, s'il n'y en a pas assez, on augmente le tirage. La vapeur qui règle le mouvement de la machine à vapeur n'entre jamais directement en contact avec la chaudière. Au contraire - tant que la chaudière est assez forte pour résister à la pression - la vapeur qui sort de la chaudière est utilisée uniquement pour entraîner les machines. J'ai vu des machines à vapeur assez petites pour descendre à une puissance de 2 CV, et assez grandes pour en atteindre 110. Toutes avaient un double balancier et c'est à mon avis le meilleur type de balancier à employer.
Cité par W. O. HENDERSON « Industrial Britain under the Regency (1814-1818) ». Cass and Co. Ltd., 1963, page 159.

Métallurgie

Au cours de sa mission en Grande-Bretagne, le commissaire prussien MAY visita, en 1814, les forges de Coalbrookdale (Shropshire, comté à l'est du Pays de Galles), où fut inventée la fonte au coke.
Ces forges avaient acquis une grande renommée et servirent de modèle. En 1784, elles comprenaient huit hauts fourneaux, neuf ateliers de forges et possédaient leurs sources propres de charbon et de minerai : en ce sens, les Darby réalisèrent la première expérience d'intégration dans le domaine métallurgique. Avec les Wilkinson, autre grande famille de maîtres de forge, ils construisirent, en 1779, le premier pont métallique sur la Severn.

Vers l'année 1709, Abraham Darby vint s'installer à Coalbrookdale... où, avec plusieurs associés, il prit à bail les installations, c'est-à-dire un vieux haut fourneau et quelques forges. Il y coulait, dans des moules de sable, divers objets en fer provenant de ce haut fourneau qui fonctionnait au charbon de bois, car on n'avait pas encore pensé à y employer le charbon de terre. Quelque temps après, il émit l'idée qu'il serait peut-être possible d'obtenir du fer en traitant le minerai dans le haut fourneau avec du charbon de terre : il fait d'abord des essais avec du charbon cru, tel qu'il sortait des mines, mais ne réussit pas. Sans se décourager, il fit griller le charbon pour en faire des cendres... et cela réussit alors.
C'est dans ces forges (de Coalbrookdale) qu'a été moulé le premier pont de fer jamais réalisé, qui a été jeté ensuite par-dessus la Severn. Il a une portée de plus de 30 mètres, et 12 mètres de haut, de sorte que les bateaux les plus gros, qui empruntent la Severn, peuvent passer au-dessous sans risque... J'ai vu les plus gros trains de marchandises de toute l'Angleterre emprunter ce pont en toute sécurité.
Cité par W. O. HENDERSON, op. cit., page 152.
Voir aussi les textes cités dans : LA CIVILISATION ANGLAISE AU XVIIIe SIECLE, la Documentation Photographique, dossier 55-11

Industrie textile

L'industrie cotonnière constitua le banc d'essai de la révolution industrielle. La mécanisation des opérations se produisit à un rythme inégal et à des moments différents, ce qui peut expliquer l'étonnement de l'auteur : R. GUESTON, dans son Histoire abrégée de la manufacture du coton, 1823. Avant le XVIIIème siècle, filature et tissage étaient accomplis dans les fermes, les cottages par les membres d'une même famille. Vers la fin du siècle, la filature, mécanisée grâce à l'invention de la jenny, puis de la mule-jenny, quitta la ferme isolée pour l'usine. Le tissage résista plus longtemps à la transformation, car les avantages du tissage mécanique ne s'imposèrent que lentement, au fur et à mesure que l'augmentation des filés imposa un accroissement de la production. Le blanchiment, les apprêts, la teinture et l'impression des étoffes avaient toujours été l'affaire de spécialistes, et la tendance s'accentua avec l'invention du blanchiment au chlore et de la machine à imprimer. Ainsi naquirent des usines intégrées, transformant le coton de matière brute en produit fini. Pourtant, dans la seconde moitié du XIXème siècle, on en revint à une plus grande spécialisation, filature et tissage d'une part, apprêts et teinture de l'autre.

C'est un fait curieux que, dans les tout débuts de l'industrie cotonnière, toutes les opérations, depuis le traitement initial de la matière première, jusqu'à sa sortie ultime sous forme de toile, s'effectuaient sous le toit de la maison du tisserand. Dans une deuxième période, avec l'amélioration des techniques, la pratique était de fabriquer les filés en usine et de les tisser à domicile. A l'heure actuelle, maintenant que cette industrie est arrivée à maturité, toutes les opérations, qui mettent en oeuvre des moyens beaucoup plus vastes et complexes, s'effectuent à nouveau dans un bâtiment unique. Le cottage du tisserand, avec son matériel grossier d'ourdissage, de cardage à main, ses rouets et ses métiers imparfaits, constituait une usine de tissage en modèle réduit. Les vastes bâtiments en brique qu'on rencontre au voisinage de toutes les grandes villes industrielles dans le sud du Lancashire et qui s'élèvent jusqu'à 20 ou 25 mètres, qui retiennent l'attention et excitent la curiosité du voyageur, effectuent aujourd'hui des travaux dont se chargeaient autrefois des villages entiers. Dans les usines mues par la vapeur, le coton est cardé, bobiné en mèches, filé et tissé en étoffe, et une seule usine suffit à sortir le même métrage pour lequel il fallait autrefois la main-d'oeuvre de toute une région.
Texte extrait de D.C. DOUGLAS : « English historical documents », Londres, Eyre and Spottiswoode, 1957, tome XI, page 515.

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